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jeudi 2 janvier 2014

La croissance est obsolète

La croissance est obsolète


Par James Howard Kunstler - Kunstler.com







Le mot qui ne sort pas de l'esprit de ceux qui aiment cogiter sur des problèmes économiques est ‘croissance’. Celle-ci est devenue extrêmement problématique au cours de ces dernières années, notamment à mesure que la population mondiale s’élargit et que l’écologie s’en trouve affectée. Souvenons-nous que Thomas Carlyle (1785-1881) surnommait l’économie la ‘science sombre’ en référence aux travaux de Thomas Malthus, parce que la conclusion Malthusienne était pour le moins pessimiste : tôt ou tard, le gonflement de la population mondiale dépasserait la capacité de la planète à satisfaire ses besoins.

Il se trouve que l’essai du Révérend Malthus, intitulé Essay on the Principle of Population, a été publié pour la première fois en 1798, juste au moment de la révolution industrielle. Ce mélodrame extravagant liait le développement de l’invention mécanique et l’énergie fossile. Le premier développement a été alimenté par le charbon et a permis à la population de s’élargir parce qu’il permettait aux nations colonialistes de poursuivre leur extraction de ressources. Et puis est apparue la production de pétrole, plus puissant et plus versatile que le charbon. Il était notamment plus utile que le charbon dans la mesure où il était convertible en nourriture. Le pétrole a permis de faire fonctionner des machines agricoles, mais aussi à la création d’herbicides, de fertilisants et d’insecticides à base de pétrole et de gaz (un dérivé du pétrole), et au transport de marchandises sur de longues distances… C’est lui qui a permis au nombre d’humains sur Terre de passer de 2 milliards dans les années 1900 à plus de 7 milliards aujourd’hui.


Alors que le pic pétrolier est derrière nous, nous nous trouvons aujourd’hui dans la troisième phase de ce mélodrame. Malgré la propagande qui s’empare des médias, nous sommes désormais face au point problématique de toute cette histoire : la fin du pétrole peu cher. Le public ne le comprend pas encore, et il faut croire que ce soit également le cas des spécialistes de la politique, des entreprises et des médias. Personne ne comprend ce qui se passe parce que tout le monde continue de croire que le pic pétrolier fait référence au moment où il n’y aura plus de pétrole du tout. Mais ce n’est pas vrai. Tout n’est question que de la capacité économique d’extraire du pétrole des entrailles de la Terre – à un prix que nous puissions supporter en termes de capital et d’énergie investis (mais aussi de destruction écologique). Cette dynamique exerce désormais une influence très importante sur la civilisation moderne. Nous nous efforçons de l’ignorer – même parmi les intellectuels – parce que nous ne savons pas comment gérer nos complexes opérations de la vie de tous les jours sans lui, et parce que les manifestations de cette dynamique se présentent en premier lieu dans la sphère financière, dominée par des vizirs économiques et des opportunistes qui bénéficient d’une dissimulation de réalité.


Ce qu'il y a de plus triste est que le pétrole est désormais trop cher pour permettre à l’économie et à la population de continuer de s’étendre. Un pétrole cher renverse la structure de coût du système sur lequel nous nous reposons pour notre vie de tous les jours : moyens de transport, commerce, production de nourriture, gouvernement… Un pétrole cher détruit notamment la structure de coût du système bancaire et financier parce qu’il est impossible de générer assez de richesses pour rembourser la dette accumulée, et que le crédit ne peut être étendu sans que plus de richesses soient créées pour le rembourser. Tout au long de l’ère industrielle, notre monnaie n’a fait que devenir de plus en plus abstraite et complexe. Comme Chris Martenson l’a expliqué succinctement dans The Crash Course, la monnaie est créée en étant prêtée. Ainsi, la croissance de la dette (qui permet la croissance de la monnaie) a joué un rôle crucial dans nos opérations bancaires, et le mot ‘croissance’ est devenu la manière de faire référence à ce processus dans notre univers économique actuel.

Il est clair que le système bancaire a beaucoup souffert du passage du prix du pétrole de 11 dollars le baril en 1999 à 140 en 2008. Depuis 2010, il varie entre 75 et 110 dollars le baril. Ces effets sont pour la plupart les résultats des tentatives de compenser l’échec de créer de la richesse réelle par la génération de richesse factice grâce à la fraude comptable, aux tours de passe-passe, aux positions à découvert à nu et à la construction d’un réseau de paris sur les produits dérivés qui présente tous les signes d’un piège. Toutes ces opérations privées ont été encouragées par l’intervention, la manipulation de marché, l’irresponsabilité fiscale, les pots-de-vin politiques en échange de législations, la falsification des rapports statistiques et l’échec de faire appliquer la loi en cas de mauvaise conduite (par exemple à la suite de la confiscation des comptes de ses clients par MF Global ou encore l’arnaque ‘Timberwolf’ de Goldman Sachs…).

En clair, une société au sein de laquelle le mauvais fonctionnement de la création de capital s’est transformée en crime, en corruption, en supercheries et en falsifications afin de prétendre que la ‘croissance’ – ou l’expansion de capital – n’est pas encore morte. Les conséquences en sont nombreuses et profondes. La principale étant que la fabrication de fausse richesse est une activité séduisante à laquelle s’adonnent aujourd’hui certaines des personnes les plus intelligentes de notre société dans le but d’en tirer profit. Elle absorbe toute leur énergie et leur empêche de se concentrer sur quoi que ce soit d’autre, comme l’élaboration d’un moyen de faire fonctionner la civilisation en l’absence d’énergie peu chère. Ajoutons à cela les efforts de l’administration nécessaires à la poursuite de cette corruption et de cette malhonnêteté, qui occupe les heures éveillées de ceux qui peuplent notre gouvernement, notre académie, nos relations publiques et nos médias. Cette cohorte de parasite subsiste aux dépens du reste de la société, aux dépens de ceux qui ne trouvent pas d’emploi ou ne parviennent pas à gagner suffisamment pour payer leurs factures, et qui se trouvent découragés, démoralisés et désengagés face au combat de la vie quotidienne. Voilà pourquoi le public ne tente même pas d’établir le dialogue sur ces problèmes. Voilà pourquoi le résultat final en est un échec d’établir un consensus cohérent pour faire face à ce qui nous arrive.


Une autre conséquence de ces désordres de capital est le mauvais investissement dirigé vers des produits sans avenir, ou pire encore, des produits qui mettent en danger le futur de ce qui nous est nécessaire pour supporter la vie civilisée. Citons par exemple l’innovation qu’est la sécurisation des prêts immobiliers – qui continue de représenter un grand avantage pour les grosses banques et les entreprises ‘sponsorisées par le gouvernement mais techniquement en banqueroute’ que sont Fannie Mae et Freddie Mac – qui se traduit par l’activité que nous appelons ‘mise en chantier’. Les économistes sont d’accord sur le fait qu’un grand nombre de mises en chantier soit une bénédiction pour l’économie et donc par extension pour la société. Mais que représentent réellement ces mises en chantier ? De nos jours, elles prennent la forme de subdivisions suburbaines, qui sont inévitablement rejointes par une série de centres commerciaux et de divers magasins de meubles le long de voies rapides. En clair, cette ‘innovation glorieuse’ des banques produit plus d’étendue suburbaine et détruit plus de territoire rural, ce qui est la dernière chose dont notre pays ait besoin dans un contexte de prix du pétrole en hausse, parce que toutes ces choses deviendront bientôt obsolètes. Que le capital nominal – nominal parce qu’il est certain de représenter une perte pour un détenteur d’action ou d’obligation – soit investi dans la construction d’un immeuble de trente étages ne fait rien pour arranger la situation, parce qu’au contraire de ce que pensent certains, les gratte-ciels n’ont aucun futur pratique pour des raisons que j’ai déjà développées.



De la même manière, les investissements du public sont dirigés vers des projets sans avenir, bien que les dépenses fiscales soient basées de manière plus transparentes sur de la monnaie qui n'existe pas réellement. Le public, de la même manière que les dirigeants, vit heureux dans la matrice automobile qu'il pense pouvoir durer toujours, et pour laquelle nous devons faire quelques provisions, sans parler de la création d’emplois que cela engendre. Et pourtant, la dynamique est évidente : il n’y aura plus jamais de pétrole peu cher, et cela affectera la formation de capital future. Il y aura moins de prêts automobiles, moins de fonds publics pour maintenir les rues en état, et il n’existe aucun substitut au carburant dont a besoin notre système actuel – sans parler du problème qu’est le déversement de carbone dans l’air.


Si tous ces points que je viens de mentionner – autoroutes, maisons de banlieue, gratte-ciels et centres commerciaux – représentent notre idée actuelle de ‘croissance’, et s’ils sont clairement de mauvais investissements, il est clair que notre concept actuel de ‘croissance’ ne s’applique plus à un modèle réaliste d’avenir économique. Il nous faut nous débarrasser du terme et de ce qu’il implique pour la vie quotidienne de l’Humanité. Il nous faut imaginer un autre moyen de comprendre le monde dans lequel nous vivons.


"Faire vivre la politique et non pas faire de la politique pour en vivre"...

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